Médiation Catherine Dumas

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Rapport à l'espace et au langage non verbal dans une médiation - les changements avec la visioconférence
-Janvier 2023- Catherine Dumas

Dans mes formations à la médiation interculturelle pour le Réseau Européen de Gestion des Conflits, je parle inévitablement de la notion de proxémie développée par l’anthropologue américain Edward T. Hall dans les années 60 et du langage non verbal.

Les proxémies sont des sphères de distance physique que nous maintenons entre nous et autrui, selon le type de relation que nous entretenons. Ces distances peuvent varier considérablement et sont directement liées aux contextes relationnels auxquels nous faisons face. Elles peuvent aller de lintimité avec un contact corps à corps, à un tête à tête avec un ami, en passant par des événements plus formels comme la prise de parole dun artiste lors dun vernissage, jusquà la conférence où le conférencier se trouve à une certaine distance de son public. 

Ces sphères « naturelles », nous permettent de nous mouvoir avec aisance et évidence dans différents milieux. Dès lors que ces distances ne sont plus respectées, nous pouvons être très mal à l’aise comme un non-parisien dans un métro bondé.

Pour nous, médiateurs, la proxémie permet, d’une part, de prendre conscience de l’importance de l’utilisation de l’espace physique et réel dans la mise en place d’un cadre et d’un environnement propice à la médiation. D’attirer l’attention du médiateur sur l’importance du respect des distances, des proportions d’une salle adéquate au nombre de personnes en présence par exemple et, dans un deuxième temps, de passer de la notion de proxémie à celle du langage non verbal : le sien et celui des médiés.

De comprendre que nous enregistrons et interprétons automatiquement une énorme quantité de petits détails visuels, de signes autour de la ou des personnes en présence, qui nous permettent de faire un premier tour d’horizon et une première analyse de la situation avant même qu’un seul mot n’ait encore été prononcé.

Les messages passent déjà lorsque le groupe entre dans la salle de réunion et s’installe : les pours, les contres, les indécis et l’inévitable retardataire. 

Les dos qui se tournent, les distances qui se réduisent lorsque les personnes deviennent agressives, les chaises qui s’écartent ou se rapprochent au retour de la pause, les corps qui se détendent, les pieds qui se déroulent de l’intérieur vers l’extérieur, les attributs qui ont été emmenés pour se protéger, pour éviter, pour suggérer, pour se rassurer : l’ordinateur, le carnet de note, la batterie de classeurs, les chaussures rouges à talons de dix centimètres qui ne demandent qu’à être vues.

Et voilà que tout change ! Les deux années de pandémie et la conscience accrue de notre impact sur l’écologie ont changé la donne d’une manière abrupte et, en grande partie du moins, irréversible. Nous avons dû nous adapter et vite !

Dans ces conditions, il semble intéressant de reprendre aujourd’hui cette notion de proxémie et de LNV au regard d’un nouvel outil pour le médiateur : la rencontre virtuelle. De parler des avantages et des inconvénients de cette pratique qui est entrée dans les mœurs aussi rapidement qu’elle a dû s’imposer.

Tout d’abord il convient d’admettre que c’est bien utile. Argument terriblement attrayant pour les paresseux que nous sommes. Mais encore !

Elle a certains avantages, voire des avantages certains :

–       La réunion virtuelle nous fait gagner un temps considérable que nous passions sur la route ou dans le train Je n’évoque pas ici l’argument écologique car il n’est pas si évident que cela. L’empreinte carbone d’une réunion virtuelle étant considérable. Si vous rencontrez six personnes en visioconférence pendant une heure, les émissions de CO2 ont déjà atteint 360 grammes. Pour le train, on est à 14 g de CO2 par passager et par kilomètre.

–       Notons également une certaine discipline de tenue de réunion et de prise de parole rendue indispensable pour des raisons acoustiques et techniques. La possibilité de se couper la parole étant ainsi diminuée, la réunion de médiation virtuelle semble plus ordonnée et calme, plus dans la retenue.

–       Les personnes sont ensemble sans l’être physiquement. Cela diminue la probabilité de montées d’adrénaline.

–       Les médiés restent dans leur environnement habituel et familier de bureau ou de maison (proxémie familière) ce qui est moins stressant que de se retrouver dans une salle de réunion avec tous les autres (proxémie événementielle).

La réunion virtuelle a également des désavantages :  

« Ah, ça me fait plaisir de faire ta connaissance en chair et en os ! ». C’est une phrase que vous avez certainement déjà entendue.

Mais qu’est-ce qui nous manquait exactement ? Finalement, nous nous sommes vues, même assez souvent… mais seulement virtuellement.

C’était pourtant le même visage, les mêmes mimiques, le même sourire, les mêmes expressions et les mêmes mots. Qu’elle est cette dimension qui n’est pas passée ? Et quelle incidence a-t-elle dans l’exercice de notre métier de médiateur ?  

–       Le manque de points de repères dans l’espace réel. Après des entretiens individuels en réunion virtuelle, j’ai entendu la remarque suivante d’un médié dans la réunion en présentiel : « C’est vous Mme Dumas, je vous imaginais beaucoup plus grande que cela ! » ou « je ne vous reconnaissais pas ». Et alors me direz-vous ?  Et je vous répondrais : Nous sommes un tout qui doit être cohérent pour être crédible, imaginable et réel : corps, gabarit, mouvements, visage, voix, odeurs.  Il doit exister un équilibre entre la parole et le corps pour se faire véritablement une idée de la personne à qui les médiés devront donner leur confiance.

–       La conscience de mon image et son jugement par le plus impitoyable des juges : moi-même ! « En virtuel, je fais beaucoup plus vieux ! ». « Je me vois tout le temps, c’est insupportable ! ».

–       Le regard que l’on perd car on ne sait pas à qui le médiateur ou la personne est en train de parler.

–       Le tour de table plus difficile car en visioconférence je n’ai pas le même visu des personnes de gauche à droite et de haut en bas que les autres et leur emplacement peut changer en cours de route. La mémoire du médiateur est ici tout particulièrement sollicitée dans les grands groupes.

–       La confidentialité mise à mal lorsqu’on sent, par le regard du participant qui part parfois, que la personne n’est pas seule dans la pièce.

–       Le langage corporel ne fonctionne plus de la même façon. Il est plus limité. La plupart du temps on ne voit même plus les mains des participants mais uniquement le visage.

Quelques conseils

Il en est comme de tout, il faut en faire bon usage et ne pas en abuser. Utiliser la réunion virtuelle pour ce qu’elle peut et pas pour ce qu’elle ne peut pas.

Les médiés :

Demandez aux personnes d’entrer dans la réunion virtuelle avec leur nom et prénom et pas celui de leur compagne à qui appartient l’ordinateur !

Le médiateur :

Cadrez votre image avec votre buste pour que les participants perçoivent le mouvement et les messages incitatifs à l’échange et à l’ouverture par le biais de vos mains.

Prenez le temps d’apprendre à connaître les outils et à les maîtriser.

Pensez à vérifier le matériel et la connexion avant de débuter la médiation.

Faites au moins une pause et encouragez-les médiés à se déplacer physiquement pour éviter la lassitude physique et mentale.

Ne pas autoriser l’enregistrement de la réunion. Cette possibilité devra être décochée sur votre compte zoom également.

Respecter le choix de la personne qui nous laisse soit entrer dans le totalement intime (Sa cuisine), dans l’anonymisé (Fond d’un grand bureau à New-York), dans l’anonymat total (Caméra éteinte – que je conseille au médiateur de ne pas accepter sauf problème technique).

Catherine Dumas-01/2023